Manuèl
Manuèl,
le célèbre écrivain inconnu (avec un accent grave et deux talents aiguilles),
qui n’était pas le grand Breton que l’on connaît, mais un solide benêt basque, fonda,
trois semaines et demi jour pour jour après sa Grande Dépression de d’avril-mai-juin-juillet-août-septembre-1928,
le mouvement « i.i.r.r.é.a.l.i.s.t.e. », des innombrables incompris à la recherche des rares éditeurs acceptant de
lire et d’interpréter sensiblement leurs textes et leurs écrits. Le Mouvement
passa d’abord totalement inaperçu, comme le lui faisait redouter avec juste
raison un terrible sentiment prémonitoire. Puis, le temps aidant, il ne prit
aucune sorte d’importance, ce qui plongea Manuèl dans la plus profonde et
impénétrable indifférence, car il l’avait dissous depuis longtemps déjà, ne
vouant plus guère à la littérature et autres incantations scribouillardes à quatre
sous et deux balles qu’une très vague et lointaine inclination.
Il ne voulait pas finir mal, comme tous ces grands écrivains. C’était bien
légitime. Cependant, fort heureusement pour lui du reste, il était assez petit.
Du reste, et d’un autre côté, le côté maladroit de préférence, il n’était pas
le moins du monde écrivain. Ce qui, du reste, aurait largement dû suffire à le
rassurer du reste. Car seulement écrivait-il, comme tout le monde du reste,
quelques cartes postales à l’occasion du reste d’un voyage organisé à Lourdes, ou,
de temps à autre, une liste du reste de courses à faire à l’épicerie du coin. Pourtant,
et en dépit de son indécrottable aversion pour les écrivains, se surprenait-il
parfois à écrire du reste des textes d’une beauté fulgurante, inouïe, sublime
et foudroyante, des pages et des pages de phrases divines, merveilleuses, et pour
tout dire, inégalées du reste. Ce qui contribuait du reste quand même à raviver
un peu plus chaque jour son inquiétude relative à ces histoires de grands
écrivains qui finissaient mal. Aussi s’attela-t-il dès lors consciencieusement,
et ce jusqu’à la fin de son existence, à écrire le moins souvent possible du
reste de sa vie, qui, malgré ses efforts du reste sans cesse et sans cesse
renouvelés pour ne pas sombrer dans l’écriture, finit quand même, et c’est tant
pis pour lui, ou tant mieux, après rien du reste, dans le plus grand dénuement.